Je redécouvre ces textes comme des vieilles photos de moi que j'époussetterais du bout du doigt, étonnée, avant de revêtir une familiarité tiède et de ramener des souvenirs et des émotions, presque enfouis, autour des mots.
J'avais beaucoup oublié de ce que j'avais pu penser il y a deux ans, les souvenirs ont su rester sages, superficiels, lisses, la douleur y était présente mais adoucie, un Laocoon criant la bouche juste entr'ouverte. Un espace ouvert pour être un exutoire de l'instant devient, plus tard, le fossile de ces hurlements rentrés.

J'ai l'impression que c'est quelqu'un d'autre qui a écrit tout ça, j'ai du mal à me reconnaître, à admettre, à me souvenir authentiquement de ces passions. Comme si j'avais juste laissé un filet en glace se resserrer autour d'un passé dont je voulais me débarrasser, pour ne devoir revenir dessus que de très haut, et sans jamais m'y attarder. En y pensant, ce n'est pas la seule fois que j'ai fait ça, ça fonctionne bien. C'est peut-être quelque chose de naturel, ce fameux refoulement, et c'est vrai que survivre serait bien plus difficile autrement. Mais il y a quand même quelque chose qui me trouble en voyant que ces émotions, aussi puissantes, aussi immenses qu'elles puissent être, finissent enserrées dans le givre, et on peut ensuite les évoquer avec un haussement d'épaules, regarder ses cicatrices avec un mélange d'indifférence et peut-être d'arrogance envers soi-même.

Pourtant je ne reviens pas ici par hasard, je sais bien que quelque chose n'a pas été résolu, que faute de pouvoir avancer par un dialogue sans forme et plus ou moins retenu, j'ai besoin d'oser sortir les mots qui peuvent imprimer un échantillon de ce tonnerre imprévisible et contre quoi je n'ai toujours pas trouvé de protection.
Et ces déferlements-là ne sont pas nouveaux, j'en retrouve ici des antécédents, mais malheureusement pas les origines.
J'ai peut-être un peu plus d'espoir, ou de maturité, à moins que ça ne soit que du conformisme moelleux à la pensée du groupe. De meilleures armes, plus d'espace entre les crises, mais ça me glisse encore trop souvent entre les mains, surtout livrée à moi-même.

Je ne peux toujours pas faire lire ça à quelqu'un, c'est à la fois trop ancien et trop actuel, trop intime et trop hors de moi. Pourtant, je continue toujours à écrire en espérant un peu secrètement que quelqu'un me lise. Sinon, j'imagine que je n'écrirais pas sur Internet. C'est peut-être un peu comme se déshabiller devant une fenêtre où personne n'est censé se tenir, en espérant sans l'admettre que quelqu'un voie, et y trouve de la beauté. On ne ferait jamais ça en sachant explicitement que quelqu'un est là, même si c'est la personne devant qui on souhaite le plus au monde être nue. Mais je crois que je ne veux jamais qu'on associe mon visage à la nudité difforme, presque monstrueuse, de mon esprit.